Déchiré
Salut.
Je m’appelle Thomas Desjardin, je vis dans un appartement que ma mère a acheté dans le centre de Paris, j’ai quinze ans passés de trois mois et ma vie est un enfer.
Normal, me direz-vous, « c’est l’âge ! » Si seulement c’était vrai…
La vie normale d’un adolescent de quinze ans normal est faite d’amourettes, de jeux et de déconnades en tous genres. Tous mes amis sont comme ça, tous, sauf moi…
Seriez-vous prêt à quoi en échange de l’amour d’un père ? Est-ce que vous seriez prêt à menacer le principal intéressé de vous jeter par votre fenêtre, sous ses yeux, s'il ne changeait pas de comportement rapidement ? Eh bien, certains le sont.
Beaucoup enfants sont encore plus jeunes que moi et ont perdus leur papa dans un accident. Ce n’est pas mon cas. Mais comment peut-on se dire que l'on aurait préféré le voir mort ? Comment peut-on se dire que l'on voudrait partir pour toujours, et cela sans laisser d'adieux ?
Je vais vous le dire : une mère décédée, percutée par un poids lourd dont le chauffeur était drogué, un père qui tente d’échapper à son sentiment de culpabilité en se bourrant du matin au soir et du soir au matin, une belle-mère –prostituée reconvertie en mère au foyer- qui vous méprise au possible, qui vous ignore, même, et deux demi-frères qui vous rendent la vie totalement impossible.
Comment faire pour rester optimiste avec un cadre digne de l’enfer ? J’ai tenté par deux fois de me suicider… Par deux fois, je n’ai pas eu le courage d’aller au bout. Je n’ai même pas assez de cran pour fuguer, alors comment voulez-vous que je… Enfin, voilà, quoi…
Un mardi normal passé au lycée, des cours normaux et quelques notes relativement correctes. Bref, la journée avait plutôt bien commencée. Jusqu’à ce que je décide de rentrer chez moi après quelques dizaines de minutes de vagabondage. Je passai tout juste le pas de la porte qu’on me jetait déjà un sac poubelle rempli à ras-bord et qu’on m’ordonnait d’aller le descendre au bac réservé à cet effet. J'étais donc parti pour deux étages de plus à descendre et à remonter.
Je décidai une fois cette tâche accomplie d’aller m’enfermer dans ma chambre, le seul endroit que l’on semblait épargner dans cet appartement, jusqu'à l’heure du dîner. Je remarquai en passant devant lui que mon père était déjà sec, je ne ressentais plus rien d’autre que de la haine pure quand je le voyais. Ça peut faire peur, dit comme cela, mais c’est pourtant vrai…
Je commençais donc à jouer sur ma console. Mais la tranquillité dans laquelle je m’étais installé fut de bien courte durée : mon père hurla depuis la cuisine pour m’appeler. Je me déplaçai, pour éviter un accès de colère et passai la tête par l’encadrement de la porte qui séparait le couloir de la cuisine et le salon :
Il désigna d’une main tremblante une tache de liquide qui s’étalait sur le sol. A cette tache se mêlaient de nombreux bouts de verre, dont le fond d’une bouteille triangulaire. « Du whisky » me dis-je, et j’avais sans doute raison.
Mais je savais déjà ce qu’il allait me demander : nettoyer.
- Bouge toi le cul pour une fois dans ta vie et nettoies moi ça !
- Non. Démerde-toi.
Mes lèvres avaient dépassé mon cerveau, et là, j’étais bon pour une bonne branlée… Je serrai les poings –toujours caché derrière la porte- si fort que je sentis mes ongles rentrer dans ma chair.
Il se rapprocha, lentement, chancelant, et je fermai les yeux en voyant son poing droit se lever et se diriger sur ma face. Et la seconde d’après, je me retrouvai par terre, étalé au milieu des morceaux de verre et de l’alcool, baignant autant dans mon sang –qui coulait abondamment de mon nez, sûrement cassé- que dans la mixture infâme. Ce fameux produit qui changeait les hommes en monstres.
La déchirure de mon cœur sembla être matérialisée par les morceaux de verre pénétrant dans mes mains. Je fus lacéré et déchiqueté par les bouts tranchants, mais je ne portais pas attention à cette souffrance, minime comparée à celle qui me consumait de l’intérieur.
Je me relevai péniblement, énormément sonné et choqué par l'attitude de mon père… Comment pouvait-on en venir à frapper son propre enfant ? Comment avait-il osé me toucher, moi, sa chair ? Je retins mes larmes, ne lui faisant pas le plaisir de me voir brisé, et partis dans le fond de la cuisine chercher une serpillière afin de nettoyer le sang et l’alcool.
Je mis au passage une mèche de papier essuie-tout dans mon nez pour arrêter le saignement, et je fis une grimace à cause de la douleur que cela produisit.
Une fois que j’eus terminé de nettoyer, je retournais dans ma chambre, pleurer en paix. Je me demandai toujours comment il avait osé… Comment l’alcool parvenait à corrompre les âmes des hommes les plus honnêtes ? Je me rappelle de mon père, il aimait tant ma mère… Il était fou amoureux d’elle, et il aurait été jusqu’à décrocher la lune rien que pour lui faire plaisir.
Mais ça, c’était avant… Désormais, c’était un ivrogne désespéré qui allait jusqu’à renier son propre enfant pour oublier sa femme morte.
Je regardai dans le coin de ma chambre mon sac de sport qui contenait de quoi survivre en cas de fugue. Je n’avais jamais osé fuguer, en pensant au tourment que j’infligerais à ma famille, mais, suite aux événements passés, j’avais totalement changé d’opinion là dessus. Le seul souci était les rumeurs qui circulaient dans le collège : d’après mes camarades, deux enfants, ayant fugué le temps d’une nuit, n’auraient pas été retrouvés. Ils avaient tout bonnement disparu…
L’enquête menée par les autorités du coin n’avait rien donné non plus. Mais ce n’est que lorsque leurs parents avaient cherché par leurs propres moyens qu’ils étaient tombés, sur internet, sur une secte de satanistes qui recherchait des jeunes « recrues » dont ils se servaient comme sacrifices… C’était sacrément morbide, d’autant plus que les policiers avaient arrêté un membre. Donc l’info avait été confirmée.
Le peu d’amis qu’il me reste et moi-même avions cherché quelques renseignements, et nous étions devenus paranos, nous ne nous déplacions plus seul le soir pour rentrer chez nous.
Mais je n’avais pas encore la preuve visuelle que ces « membres » existaient vraiment.
Fugue. Ce simple mot, cette simple idée s’insinuait en moi. Elle m’était d’abord survenue comme une pure utopie. Mais comme chaque pensée, elle se développe et évolue, se transforme et devient vite virulente. Si bien qu’au bout d’un certain temps à ruminer des idées noires, je ne pus m’empêcher de me lever de mon lit et de saisir mon sac.
Que vais-je faire ? Si je pars, je serais livré à moi-même, mais je serais enfin libéré de l’oppression parentale. Mais si je reste, je ne pourrais plus tenir très longtemps, je vais finir par craquer…
Comment la vie peut-elle infliger de tels choix à de si jeunes personnes ? Je sais que je ne suis pas seul dans ce cas, mais j’aimerais ne pas à avoir à affronter cette situation en solitaire… J’aurais aimé avoir un frère ou une sœur sur qui compter, qui aurait pu me guider dans mes gestes et mes actes. Maman aussi voulait un autre fils, elle voulait, mais n’a pas pu… Elle est partie trop tôt pour pouvoir m’offrir cette chance, et je regrette de ne pas avoir plus profité de sa présence…
Je regarde par la fenêtre, mais je ne vois pas grand-chose, il fait déjà presque nuit. Je distingue seulement, au loin, les phares d'une voiture qui rentre dans son garage. Je suis allongé sur mon lit, avec le sac de sport sur les genoux.
Je ne sais toujours pas quoi faire… J’ai tourné et retourné la question dans mon esprit, je ne trouve pas d’issue. Mais je suis tiré de mes tourments intérieurs par la voix de la chose qui me sert de belle-mère :
On ne pouvait que l’entendre, elle ne parlait pas, elle hurlait en permanence. Alors quand elle a décidé de crier… Je vous conseille de ne pas rester à côté, car elle vous déchirerait les tympans.
Pour éviter plus d’ennuis, je décide donc de me déplacer jusqu’à la cuisine. Pour profiter, si j’y parviens, de mon éventuel dernier repas ici…
Ma belle-mère me jette une sorte de bouillie dans l’assiette, et je ne peux m’empêcher de reculer à cause de l’odeur qui s’en dégage : un fin mélange entre du poisson avarié et du fromage aussi vieux que le monde. J’en déduis donc que c’est de la bouillabaisse… Mon dernier repas s’annonce bien.
J’ai donc plus grimacé que je n’ai mangé, et je suis retourné aussitôt dans ma chambre. Je n’en peux vraiment plus… Je vais craquer…
Mon sac m’attend, d’ailleurs. Il est là où je l’ai laissé, au bout de mon lit. Je le regarde, et observe les quelques voitures qui circulent encore à cette heure.
La liberté m’appelle, je l’entends, et je ne peux plus résister… Je dois m’en aller.
Pour de bon, je n’en sais rien, mais ils ne me reverront pas tant que mon père n’aura pas pris conscience de ma détresse.
Je me lève, décidé à en découdre avec mon destin. J’ouvre la fenêtre et enfile mon sac.
Quand faut y aller, faut y aller…
Deux étages, c’est haut… Surtout quand le ciel est aussi sombre que mon esprit…
Je regarde derrière moi, cherchant quelque chose pour me faire une sorte d’échelle.
Je repense à cette astuce qu’on voit à répétition dans les films : les draps noués. Pourquoi pas, après tout. Autant essayer… Je ne suis plus à ça près !
J’ai mis plus d’une demi heure pour fabriquer une corde assez longue avec ma couverture et mes draps. Mais personne ne s’en est rendu compte. Comme quoi, je suis invisible à leurs yeux…
Je l’ai accrochée au pied de mon lit en bois massif. Je ne pense pas que ça bouge.
Le tissu pend dans le vide, et je suis penché au dessus du vide, me tenant au garde-fou en fer forgé.
C’est donc le moment.
Alors je m’élance.
J’ai enroulé mes jambes autour de la corde de fortune pour contrôler ma descente tandis que mes mains en servaient qu'à m'équilibrer, et à tenir mon sac.
En voyant s’éloigner la fenêtre de ma chambre, je sentis un poids se retirer de mon cœur, comme si je pouvais enfin vivre pleinement.
Mais, un dernier détail hantait mon esprit… Cette fameuse secte qui rôdait dans le coin…
Trop tard pour les remords. Mes pieds rencontrent le parvis et je me retourne vivement pour voir si personne ne m’a vu. Mais la rue est déserte, hormis un chat qui s’engouffre dans une ruelle.
Enfin… Enfin libre !
Enfin, je réalise ce qui m’arrive. Je suis enfin libéré de l’oppression paternelle !
Je ne peux m’empêcher de partir en courant à travers la rue. Sans crier, bien sûr, je ne tiens pas interrompre ma cavale si tôt…
***
Je n’ai pas arrêté de marcher depuis une heure. Je suis dans une des petites rues adjacente aux grands boulevards de Paris. Où, exactement, je n’en sais strictement rien… Mais je suis seul et pour une fois tranquille !
Je n’ai croisé qu’une vieille femme. Vraiment étrange cela dit… Elle était courbée par le poids des années, mais ses yeux n’étaient pas ceux d’une octogénaire… Ils avaient un éclat… Comment dire… Malsain. Une sorte d'intelligence mauvaise, perverse.
Cette rencontre m’a troublé, mais après tout, il y a nombre de gens étranges sur cette planète…
Il fait à présent totalement nuit, les lampadaires se sont éteints, et je me retrouve seul, dans le noir, au milieu d’un parc…
Je dois avouer que j’ai peur. Je me sens observé, et j’ai l’impression de voir des ombres qui me suivent…
Je suis fatigué, je mets ces visions sur le compte du manque de sommeil. Mais… Je n’y crois pas vraiment…
Cette affaire de secte me trotte dans la tête…
J’ai enfin trouvé un endroit où passer la nuit. Dans le parc, bien que cet endroit me file la frousse… J’ai trouvé un arbre tout au fond du chemin, là où personne ne vient jamais.
Je me demande si je vais arriver à trouver le sommeil, je n’arrête pas de penser à mes parents. A cette vie gâchée, à cause de l’alcool. Toujours l’alcool.
Je me sers d’une parka imperméable comme d’une couverture et je m’allonge sur le sol dur et froid, malgré la couche de gazon qui le recouvre.
Sept heures. Sept heures de sommeil, avant que l’employé municipal ne me contraigne de partir, sinon quoi il appellerait la police. Mes yeux me brûlent, et mon dos aussi. J’ai les jambes raides, mais je me force à marcher.
Je ne sais vraiment pas où je suis. Mais je ne me trouve pas chez les enfants de cœur. Ca fait plus d’une heure et demie que je marche, et il me semble que j’ai atterri dans une banlieue « chaude »… Je me suis engouffré dans une ruelle qui borde un entrepôt désaffecté.
Voici donc le repaire de tous les toxicos du quartier… Des dizaines de personnes à la corpulence effrayante sont entassés dans ce hangar à marchandises. Une vingtaine de seringues usagées jonchent le sol, le verre du réservoir bien souvent éparpillé sur le sol, rendant inutilisable cet outil…
Dehors, au bout de la ruelle, un tonneau rempli de braises faibles et fumantes agrège autour de lui deux hommes aux regards où la foudre n’est pas seulement due à leur rêves… Elle est sûrement due aux poudres qu’ils viennent de consommer. Cette scène me révulse… Je me demande comment on peut finir dans un état si pitoyable…
Je préfère m’en aller, avant qu’ils ne prennent conscience de ma présence. Je ne veux pas avoir d’embrouilles…
Une heure de plus que je marche, j’ai les pieds en feu, mais c’est le prix à payer. Le prix de la liberté. Et je m’étonne même de ne toujours pas voir de véhicule de police à mes trousses… Mon père n’a même pas dut donner l’alerte… Et pour ce qui est de mon signalement… Je ne sais pas si il se souvient à quoi je ressemble.
Je suis de nouveau dans une zone plus sûre… Un quartier huppé de Paris. Lequel, je n’en sais rien, et je m’en contrefiche…
Mais un détail me terrifie… J'ai l'impression d'être suivi, un homme est constamment quelque part autour de moi.
Qu’est-ce qui me fait si peur ? Tout. Tout, chez ce type. Sa posture est malsaine, ses vêtements trop usés pour se promener ainsi dans Paris…
Son pull-over beaucoup trop grand pour lui. Il a rabattu sa capuche sur son visage, et baisse la tête à chaque fois que je le regarde…
Et je l’ai encore vu. Que me veut-il ? Son visage est toujours dans l’ombre… C’est à croire qu’il n’en a pas. Seuls ses yeux sont visibles grâce à la lumière… Un regard de fou.
Un regard où plane une vie baignée de souffrance et le sang. Une vie mutilée et détruite. Sans doute trop tôt… Qui sait ? Un frisson me parcouru le dos…
Le regard d’un homme qui n’a plus peur de la mort. Un regard qui dénote une impitoyable froideur. D’une monotone cruauté.
Il me suit, et je suis prêt à parier qu’il fait partie de cette fameuse secte… Je deviens parano… J’ai vraiment peur. Peur d’avancer, peur de me retrouver seul dans une impasse. Peur de me retrouver face à ce monstre. Face à cette secte.
Avez-vous déjà connu un état mental proche de la folie ? Un moment où vous étiez juste au bord du gouffre, prêt à y sombrer, sans rien à quoi se raccrocher ?
Eh bien moi, oui. Et je crois que je suis en train de tomber…
J’entends et vois des choses pas nettes… J’ai peur, je deviens totalement parano… Mais pour la première fois depuis des années, je me sens libre de mes mouvements… Mais à quel prix ? J’étais déjà dans un sale état avant de partir… Mais maintenant, je deviens cinglé…
Je ne profite pas de cette fugue, de ce moment de calme dans mon quotidien. Je fuis et je cogite… Je me demande où est cet homme… Je me retourne, mais toujours rien derrière moi.
Il s’est évaporé, comme la totalité de la population. On ne voit qu’une fois chaque visage, au milieu de cette mare de monde.
C’est presque la fin d’après midi, et je n’ai rien fait, à part marcher. J’ai mal aux pieds… Cette douleur est atroce… Je ne peux plus bouger mes orteils, et je sens que l’odeur qui en émane suffirait pour assommer un bœuf…
J’ai deux ampoules aux talons et mes chaussures commencent à rendre l’âme… Toute la semelle intérieure s’est décollée.
Je me suis posé sur un banc dans un parc dans un arrondissement éloigné de chez moi. J’ai demandé mon chemin à une dame avec des enfants plein les bras toute à l’heure. Mais elle m’a regardé comme si j’étais un monstre, un paria…
Je n’ai rien demandé ! Pourquoi me rejeter et m’ignorer de la sorte ? Ou alors, c’est que je suis trop sale pour une femme de la « haute » comme elle…
Je me le demande encore, et bien entendu, je n’ai pas de miroir, pas d’endroit où me loger, me doucher, et encore moins pour manger…
Car mes maigres provisions vont bientôt s’épuiser, et je n’ai nulle part où retirer de l’argent, sans ma carte jeune…
L’idée de mendier me répugne, je ne me vois pas en train de faire la manche, surtout que les personnes à ma recherche –si il y en a… me trouveraient beaucoup trop facilement…
Mais il ne me reste qu’un bout de pain, raide, et de l’eau… Mais pas d’argent…
C’est la seule chose à laquelle je n’ai pas pensé… Je me sens vraiment stupide…
Merde… L’homme…
Il est en face de moi. Il me fixe de son regard froid et effrayant. Il ne bouge pas. Sa capuche est toujours sur son crâne. Je regarde furtivement autour de moi, espérant que quelqu’un aurait remarqué cette scène et me sauverait la vie. Mais…
Il n’est… Il n’est plus là ?
Il a tout bonnement disparu ! Je regarde aux alentours, inspectant la moindre voiture qui passe, toutes les personnes qui marchent et quittent la rue où je suis. Mais, personne.
Je fais un tour sur moi-même, mais je reste perplexe… Comment a-t-il pu faire un tel tour de passe-passe ?
A moins que… Non. Je ne deviens pas fou ! Je ne suis pas cinglé ! Enfin… Je n’en sais rien… Qu’est-ce que je dois faire ?
Je ne peux plus rien faire tout seul… Si je rentre chez moi, j’ai une chance sur deux de me faire décapiter sur le seuil de l’appartement. Mais si je reste ici… Dehors… Je ne suis pas sûr de tenir une nuit de plus.
Je suis dans la rue… J’ai froid et sommeil… Je ne sais toujours pas où je vais, mais je suis poursuivi. Je ne cours pas, je sais que si je le fais, ils le feront aussi. Et, dans l’état où je suis, ce ne serait pas judicieux…
Ils n’ont pas de visage… Je l’ai vu… Ce sont des yeux qui volent.
Je suis cinglé ! Qu’est-ce qui me prend ? J’ai mal vu… C’est tout… C’est seulement ça !
Un d’entre eux sourit… Je ne sais même pas combien ils sont ! Ils me rattrapent, mais personne ne semble le remarquer… Je suis seul, seul et invisible aux yeux du monde qui m’entoure… C’est à croire que je n’ai jamais existé, que les gens font comme si je n’avais jamais existé…
Mon cœur vient de s’arrêter, en même temps que mes jambes… Je… Je viens de rentrer dans un homme. Enfin… Non…
Je l’ai traversé…
Il ne m’a même pas regardé, même pas remarqué… Je l’ai traversé comme si c’était naturel !
Merde…
Je deviens complètement fou ! Je suis toujours arrêté, les hommes sont tout autour de moi, la foule passe au travers de leur corps atrophiés sans même leur prêter attention. Je sens ma tête qui tourne. Je titube, j’ai peur… Vraiment peur…
Mon âme est détruite, je le sens. Je sens un vide immense, infini, au plus profond de mon être. Je ne me sens plus capable d’éprouver autre chose que cette terreur paralysante…
Je sens des dizaines de regards braqués sur moi… Des regards tous plus affreux les uns que les autres… Et je sais, je sens que l’homme qui me suivait est parmi tous ces monstres…
Je ne sais même pas s'ils sont humains… Comment se fait-il que… Pourquoi sommes-nous… immatériels ?
Un d’eux se rapproche de moi, mais ma vue est brouillée, je ne vois rien, j’entends ses pas sur les pavés… Il m’attrape par le bras. Son étreinte est froide. Gelée, même…
Plus froid encore que la mort…
Je tombe.
Je… Je suis en vie ? Je ne peux pas bouger… Mes muscles sont raides, tendus, mais je ne peux pas me mouvoir…
Papa… Maman…
Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ce sort ?
J’hurle à la mort… Une douleur atroce part de mon pied et remonte jusque dans mon mollet…
Je sens mon sang qui goutte, qui inonde le sol… Mes forces vitales me quittent, j’ai sommeil, je me sens sombrer…
Le capuchon de l’homme est toujours sur son visage… Seuls ses yeux reluisent dans la pénombre…
Une sirène de pompier retentit au loin. Des gens s’affairent autour de moi. J’entrouvre les yeux, je vois du gazon, rougi par mon sang…
Pas d’homme à capuche ? Où suis-je ?
Un homme glisse une civière sous mon dos… Il me maintient la nuque et me parle. Je n’ai pas la force de répondre… Je n’arrive pas à serrer sa main non plus.
Je comprends quelques mots, mais pas le sens de sa phrase… Il parle d'une voiture… Mon esprit est embrumé par le masque qu’ils m’ont mit sur le visage.
Et ces hommes en capuche ? Et… Et moi… Suis-je vraiment vivant, ou est-ce un mauvais rêve causé par un certain enchantement de cette fameuse secte ?
Est-ce une larme ou une goutte de sang qui coule le long de ma joue ? Je me sens faible… Faible et si loin de ce monde où personne ne tient à moi…
La mort me libérera de cette souffrance… Mais, je ne sais pas si je meurs vraiment…
J’ai froid, je sais que l’emprise de l’homme est gelée… Mais je n’ai plus peur…
Je me laisse aller… Je ferme les yeux, expire une ultime fois… Et je laisse ma mort sur la conscience de ce malheureux qui s’engage pour sauver une vie détruite…
Et je vois encore ce visage dans le noir… Celui de l’homme à capuche.
Et il sourit…