Theodore doute de tout. Il doute de lui, il doute des autres. Pour lui, rien n'est et ne sera jamais certain. Rien ou presque ne pourra le convaincre de quoi que ce soit. C'est comme ça depuis qu'il est humain, et ça ne risque certainement pas de changer. Et quitte à être obligé de se fier à quelqu'un, il préfère encore se fier à lui même, malgré le fait qu'il ait quand même du mal à le faire. Gagner sa confiance, ce n'est pas facile. Il faudrait persévérer, et encore, à force il finirait par trouver ça suspect et se renfermerait un peu plus. Il faudrait être honnête, parce que si la vérité pourrait ne pas forcément lui plaire, Theodore ne déteste rien de plus que le mensonge et la malhonnêteté.

Parce que lui même est honnête. Il dit ce qu'il croit penser, sans filtre. C'est peut-être la seule chose dont il est persuadé, sa volonté de franchise. Pourquoi être aussi honnête ? Parce que les mensonges n'apportent au final que peine, frustration et colère. D'après lui. D'après son vécu. Parce qu'il n'y a que ça de réellement fiable, ce qu'il a pu vivre et observer par lui même. Du coup, on pourrait dire qu'il ne croit que ce qu'il voit, en effet.

Mais une fois qu'on a gagné sa confiance, Theodore peut se montrer fiable aussi, fiable et loyal. Sauf en cas d'extrême nécessité, il ne se permettrait de trahir personne lui. Et c'est bien pour ça que les traîtres et les gens malhonnêtes, il ne les aime tout simplement pas.

Theodore aime travailler. Le fait de faucher les âmes des morts ne le dérange pas plus que ça, et il s'implique réellement dans ce qu'il fait. Il lui arrive de n'écouter que ses propres règles, mais dans l'ensemble, il essaie de faire de son mieux pour qu'on ne lui reproche rien. Il essaie d'arranger les choses à sa manière, oui, mais c'est toujours pour le mieux d'après lui. De toute façon, il n'a jamais eu d'ennuis par rapport à ça jusqu'ici, alors il ne voit pas pourquoi il devrait arrêter de faire ça. Peut-être qu'on peut dire qu'il est têtu et obstiné, mais il ne voit absolument pas en quoi c'est un souci. Et puis l'avis des gens, en soi, il s'en fiche parce que, positif ou négatif, il n'y croit pas. Une grande partie de ce qu'on peut lui dire le laisse de marbre.

Physiquement, on pourrait donner à Theodore une cinquantaine d'années. Son visage est marqué pas le temps, mais pas spécialement par la fatigue parce qu'il n'est juste pas spécialement fatigué, en fait. Ses yeux, autrefois d'un beau bleu ont maintenant la couleur particulière et caractéristique à chaque shingami, cet espèce de vert étrange. Mais il n'y a jamais fait attention parce que son physique n'a jamais été quelque chose qui l'a forcément intéressé ou inquiété.

Sa peau est légèrement matte, du au fait des heures passées au soleil lorsqu'il était encore humain. On pourrait le considérer comme relativement musclé, mais tout de son physique est explicable de par ce qu'il a vécu. Comme ses cheveux principalement gris, c'est tout simplement l'âge. Sa barbe aussi, même si ça il essaie d'un minimum l'entretenir pour ne pas avoir l'air d'un ours.

Ses lunettes, il y tient tout particulièrement, contrairement à sa faux, une houe dont il n'a rien à faire. Peut-être plus qu'il ne devrait, mais c'est la seule chose assez spéciale chez lui et même s'il ne sait pas vraiment pourquoi elle sont comme ça, cette forme particulière, il a besoin d'elles, comme tout shinigami certes, mais il serait définitivement perdu et seul.  

Theodore est né dans une ville portuaire galloise dont le nom ne lui est toujours pas revenu, en 1696. Ses parents, de simples gens assez pauvres, ce qui ne les empêchaient pas d'êtres heureux. Ils tenaient une taverne, aidés par leurs deux fils. En grandissant Theodore aussi put commencer à les aider, alors que ses deux frère étaient partis. Partis dans l'espoir d'une nouvelle vie, d'un bon statut social et de sans doute plus d'argent. Mais Theodore, d'abord il était trop jeune pour partir, et ensuite il n'était pas difficile et se plaisait, ici.

Il devait avoir aux alentours de quatorze ans, lorsque malgré lui sa vie changea. C'est peut-être ridicule dit comme ça, mais c'est ce qui s'est passé. Il se souvient très bien ce cet après-midi où un groupe particulièrement bruyant entra dans l'établissement. Comment Theodore aurait pu deviner qu'il s'agissait de pirates alors qu'il n'en n'avait jamais vus. Soudainement, tout le monde était tendu. Parce que jamais des pirates n'étaient venus dans cette ville, et surtout pas dans cette taverne. Mais mis à part leur comportement plutôt désagréable avec sa mère, ils ne firent rien de grave et partirent même plutôt vite. Sauf que le fait est qu'ils revinrent, plusieurs fois, et plus ils venaient, moins les clients normalement habituels le faisaient. Ils n'étaient honnêtement pas fonciérement méchants. Ils faisaient juste énormément de bruit, et il leur arrivait de faire tomber, accidentellement ou non, quelques assiettes et pintes. Et plus ça allait, plus celui qui semblait être le chef ou capitaine se permettait d'être familier avec la mère de Theodore. Et la seule personne à avoir l'air mécontente de cette situation, c'était bien son mari. Theodore voyait bien son père grincer des dents, mais il ne disait rien parce qu'il savait bien qu'il n'en n'avait pas le droit, et que ça pourrait tout faire basculer. Et ce fut après six nouveaux mois à accueillir plus ou moins malgré eux l'équipage que ça bascula réellement. C'était en pleine nuit, Theodore fut réveillé en pleine nuit par sa mère. Elle lui avait dit de faire ses affaires, parce qu'ils s'en allaient. Il n'avait pas trop compris ce qui se passait, mais il l'avait écoutée et suivie parce que c'était sa mère. Il n'avait pas pris grand chose, juste ses quelques vêtements et un ou deux livres. Il ne comprenait pas. Sa mère voulait partir, partir avec cet homme qui dirigeait l'équipage qui venait si souvent dans leur taverne, parce qu'ils s'aimaient et qu'elle avait réussi à négocier le fait que Theodore puisse venir avec eux parce que contrairement à son mari, elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser derrière elle. Theodore n'avait pas eu son mot à dire.

La vie sur les mers n'était pas des plus faciles. Lui, il ne servait qu'à nettoyer le pont et faire la cuisine avec ce qu'il trouvait sur le bateau, avec ce qu'ils pillaient sur les petits bateaux de  commerce qui croisaient leur chemin. Sa mère, elle ne faisait plus tant attention que ça à lui que ça, et passait ses journées avec le capitaine et lorsqu'il était occupé, à dormir. Elle ne servait pas à grand chose, elle non plus. Peut-être même que Theodore était plus utile qu'elle au navire. Il s'était même lié d'amitié avec certains membres, et bientôt il put même participer aux divers sabotages et pillages. Sa mère, par contre, tomba malade. Personne ne savait ce qu'elle avait, mais elle allait mal et on la voyait encore moins qu'avant. Honnêtement, Theodore n'en n'avait cure. Malgré son intégration à l'équipage, il s'occupait toujours de la cuisine et du nettoyage du pont parce qu'il était le plus jeune, et n'avait pas le temps de s'intéresser à quoi que ce soit d'autre.

Sauf peut-être à Henry. Henry, c'était sans doute le membre le plus objectivement sympathique de l'équipage. Peut-être parce qu'ils n'avaient que quelques années de différence au niveau de leur âge, contrairement aux autres qui avaient au moins quinze ans de plus que lui. Il aidait Theodore par moments, et contrairement aux autres il avait l'air sincère et intelligent. Il pouvait dire que c'était son ami oui, son seul véritable ami et ça lui allait totalement. Et pendant des années, il passèrent des heures à discuter, à mutuellement se défendre, et Theodore ne fut pas tant attristé que ça par la mort de sa mère, parce qu'il s'y attendait en voyant son état se détériorer et avait eu le temps de faire son deuil. Et puis il n'était pas seul, puisqu'il pouvait compter sur Henry. Ils eurent environ trente ans pour apprendre à se connaître, et au terme de ces trente ans on aurait dit qu'ils étaient comme frères. Ils avaient vécu les même choses, connus les mêmes changements dans l'équipage, et ne pouvaient honnêtement plus se passer l'un de l'autre.

Alors lorsqu'une bagarre, plus violente que toutes celles qui avait pu y avoir sur le navire, blessa Henry et finit par le  tuer dans l'heure, Theodore eut l'impression de se trouver en enfer. Il n'avait plus personne à qui parler, et avait l'impression que tout le monde le regardait et prenait pitié de lui. Il n'aimait pas ça, il pensait que lui aussi allait finir comme Henry, à se prendre une balle dans le flanc. Et il ne voulait pas. Et si vivre c'était vivre seul, il préférait encore mourir. Alors il s'était tiré une balle dans la tempe, et comme il l'avait espéré, d'y survit pas.

Sauf qu'il ne s'attendait pas à être "réincarné" en dieu de la mort. Il n'avait pourtant rien demandé, mais encore une fois, il n'avait pas l'impression d'avoir le choix alors il fit ce qu'on lui dit. En essayant de s'impliquer, pour ne pas se rendre compte du fait qu'il était toujours aussi seul et qu'il avait encore l'impression d'être surveillé, épié. Il préfère alors travailler seul, et pour ça il fait en sorte de travailler le mieux possible, afin d'avoir un bon grade et d'être plus félicité que critique, et ce depuis un peu plus d'un siècle. Probablement qu'il continuera ainsi pendant l'éternité, et ce n'est pas forcément pour lui déplaire parce que Theodore avait fini par s'habituer à cette nouvelle vie, et ce en quoi elle consistait.